Les images qui nous font honte : entre liberté d’information et sécurité publique
Le 21 novembre 2020, Michel, jeune quadragénaire et producteur d’une musique née dans les années septante dans les ghettos des États-Unis d’Amérique, fut abordé par un peloton philanthropique de gardiens de la paix. Finalement interpelé alors qu’il regagnait son studio d’enregistrement dans le 17ème arrondissement de Paris, la situation dégénéra à un point culminant, se soldant par la suspension puis la mise en examen de quatre fonctionnaires.
Concomitamment, le 24 novembre 2020, le Sénat recevait la proposition de loi relative à la sécurité globale, un texte qui alimente les passions. Le texte avait été adopté par 388 voix pour et 104 contre à l’Assemblée nationale après l’engagement de la procédure accélérée. Il contenait une disposition relative aux forces de sécurité intérieure : l’article 24.
Le Palais Bourbon, construit à partir de 1722 par la fille de Louis XIV et de Madame de Montespan, ambitionne de modifier la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Il tint à peu près ce langage :
« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. »
La diffusion de ces « images qui nous font honte » doit donc s’inscrire dans une intention malveillante afin de tomber sous le couperet de la loi.
Une protection des forces de l’ordre sous condition
Bien entendu, cette disposition ne fait pas obstacle à la communication des images et éléments d’identification aux autorités administratives et judiciaires compétentes dans le cadre des procédures qu’elles diligentent. Il ne manquerait plus que ça.
En revanche, le tarif est réduit pour la diffusion de la reproduction des circonstances d’un crime ou d’un délit, lorsqu’elle porte gravement atteinte à la dignité d’une victime et qu’elle est réalisée sans son accord. En effet, l’article 35 quater, modifié par l’ordonnance du 19 septembre 2000, prévoit une amende de 15.000 €.
Il serait exagéré de faire la comparaison entre le combat de Victor Hugo et son célèbre discours devant l’Assemblée constituante du 15 septembre 1848 sur l’abolition de la peine de mort avec celui de la lutte contre les violences policières.
Mais n’était-ce pas la décapitation d’Eugène Weidmann, à Versailles, filmée et photographiée, qui suscita une levée d’indignation ?
L’image brute est froide d’objectivité.
Édouard Daladier fit alors promulguer un décret-loi abolissant les exécutions… publiques, en juin 1939. Il est vrai qu’il a aussi œuvré pour faire enfermer tout individu considéré comme dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique.
La Veuve (la guillotine) quitta alors la place publique pour œuvrer dans l’enceinte même des prisons, à l’abri des regards indiscrets. Elle mourut finalement après une longue agonie sous les coups de Robert Badinter à l’Assemblée Nationale, le 18 septembre 1981, avec 369 votes pour et 113 contre.
Aujourd’hui, le « garant des libertés » impose au gouvernement de se précipiter à trouver de nouvelles solutions. Une commission ad hoc lors de l’examen du projet de loi au Sénat. Le Parlement ne tient plus la plume ?
La Constitution, un texte oublié.
À la limite, que nous redécouvrions le code justinien au XIIème siècle… mais le texte de la Constitution de 1958 ? Et c’est toujours l’article 24 qui s’impose mais cette fois-ci dans la Constitution :
« Le Parlement vote la loi. »
La pression sur les gardiens de la liberté n’est pas près de s’arrêter.
La liberté d’information face à la sécurité publique
Nous nous retrouvons donc face à une tension entre deux principes fondamentaux :
- la liberté d’information garantie par la loi de 1881 sur la liberté de la presse,
- la sécurité publique et la protection des agents des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions.
Le législateur tente ici de trouver un équilibre précaire entre le droit de la presse à informer et la nécessité de protéger l’intégrité physique et psychologique des forces de l’ordre.
Dans un contexte marqué par une défiance croissante à l’égard des institutions, cette loi pourrait alimenter la suspicion et accentuer la fracture entre la population et les autorités. La protection des fonctionnaires de police doit-elle primer sur le droit du public à la transparence ?
L’article 24, bien qu’encadré par des garde-fous juridiques, pourrait également ouvrir la porte à une forme de censure indirecte, freinant le travail d’investigation des journalistes et réduisant la capacité des citoyens à exercer leur droit de regard sur l’action de la police.
Nous sommes donc à la croisée des chemins entre :
- une société de transparence où les images jouent un rôle clé dans la révélation de la vérité,
- une société de contrôle où la diffusion d’images pourrait être perçue comme une menace pour la stabilité de l’ordre public.
Comme l’a déclaré Robert Badinter lors de l’abolition de la peine de mort :
« Une société se juge à la manière dont elle traite ses criminels. »
Une société se jugera désormais à la manière dont elle traite ses images.
Richard Wetzel, Avocat Associé