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Artmedia est une agence artistique française créée par Gérard Lebovici en 1970. Bertrand de Labbey de La Besnardière en pris les rênes en 1990 jusqu’au 1er février 2016, laissant sa place à une nouvelle ère, une nouvelle direction, une nouvelle destinée. Il restera toutefois à la tête de la filiale...

Licenciement après 30 ans de service : quand l’absence de reconnaissance devient vexatoire

Artmedia, agence artistique fondée en 1970 par Gérard Lebovici, est l’une des plus influentes de France. Elle a représenté des personnalités de renom comme Jean Rochefort, Catherine Deneuve, Jean-Paul Belmondo ou encore Sophie Marceau. La direction de l’agence a longtemps été assurée par Bertrand de Labbey, jusqu’à son départ en février 2016, marquant le début d’une nouvelle ère.

Cette transition de gouvernance a toutefois été brutale pour une salariée historique de l’entreprise. Présente depuis 30 ans, cette assistante administrative avait débuté en 1986 comme sténodactylographe avant d’évoluer vers un poste d’assistante administrative en 2001.

Le 19 février 2016, elle reçoit une convocation à un entretien préalable à licenciement pour motif économique. La salariée accepte finalement le contrat de sécurisation professionnelle proposé lors de l’entretien du 2 mars. Pourtant, elle décide de contester le motif du licenciement, estimant qu’il était injustifié.

Le conseil de prud’hommes de Paris, dans un premier temps, valide le licenciement. Mais la salariée saisit la Cour d’appel de Paris, qui, par un arrêt du 7 juillet 2022, infirme ce jugement et condamne Artmedia à lui verser :

  • 75 000 € d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
  • 5 000 € de dommages-intérêts pour préjudice moral lié aux conditions vexatoires de la rupture

La Cour a considéré que le licenciement était infondé d’un point de vue économique. Les justifications de la société concernant une prétendue perte de compétitivité n’ont pas convaincu les juges.

Le caractère vexatoire du licenciement repose sur plusieurs éléments :

  • L’absence de reconnaissance après 30 ans de service
  • Une annonce du licenciement le vendredi soir, laissant à la salariée seulement le week-end pour se préparer à partir définitivement
  • Aucun pot de départ ni forme de reconnaissance publique

La Cour d’appel a insisté sur le fait qu’après 30 ans d’ancienneté, la salariée aurait dû bénéficier de conditions de départ respectueuses, ne serait-ce que par une reconnaissance symbolique du travail accompli.

Dans une entreprise où organiser un pot de départ est une tradition bien ancrée, le fait de n’avoir rien prévu a été interprété comme une forme d’humiliation. La Cour a estimé que cette attitude traduisait un manque de considération envers la salariée, amplifiant le sentiment de rejet et de dévalorisation.

La Cour d’appel a également souligné le fait que la salariée a été informée de son départ un vendredi soir, ce qui l’a laissée dans une situation inconfortable face à ses collègues. Malgré cela, par conscience professionnelle, elle est revenue le lundi suivant pour finaliser ses dossiers avant de partir définitivement.

Ce n’est pas la première fois que la Cour d’appel de Paris statue dans ce sens. En 2021, une salariée avec 27 ans d’ancienneté avait obtenu une indemnité similaire après avoir été licenciée dans des conditions jugées vexatoires :

  • Absence de préavis
  • Interdiction de revenir sur le lieu de travail
  • Absence de reconnaissance publique lors du départ

La Cour a considéré que le départ précipité, sans possibilité de dire au revoir à ses collègues, avait causé un préjudice moral incontestable.

Le manque de reconnaissance publique a donc été retenu comme un élément contribuant au caractère vexatoire de la rupture.
➡️ La question du pot de départ est devenue un véritable enjeu juridique : organiser ou non un pot après une rupture de contrat peut influencer l’interprétation des juges quant au respect dû au salarié.
➡️ Dans ce contexte, ne rien organiser après 30 ans de service a été interprété comme une humiliation supplémentaire.

Cette affaire souligne une évolution dans l’appréciation des conditions de rupture d’un contrat de travail.

  • L’ancienneté du salarié impose une obligation morale de reconnaissance de la part de l’employeur.
  • L’absence de geste symbolique peut être interprétée comme une circonstance vexatoire, ouvrant la voie à des dommages-intérêts pour préjudice moral.
  • Les employeurs doivent désormais anticiper l’impact psychologique et social d’un licenciement, au-delà des aspects purement juridiques.

➡️ Pour éviter un tel contentieux, les employeurs doivent porter une attention particulière à la gestion humaine des ruptures de contrat.
➡️ L’organisation d’un pot de départ ou la remise d’un message de reconnaissance personnalisé peuvent sembler anecdotiques, mais ces gestes ont un impact psychologique important.
➡️ Le respect des formes est désormais une attente implicite dans la relation de travail.

Cette décision illustre une tendance croissante à judiciariser les conditions de rupture du contrat de travail. Les employeurs doivent désormais envisager les conséquences psychologiques et sociales d’un licenciement, en particulier lorsque le salarié bénéficie d’une longue ancienneté.

Richard Wetzel, Avocat

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