L’abandon de poste volontaire privatif des droits à l’assurance chômage : un nouvel outil de rupture du contrat de travail.

La présomption de démission : une révolution juridique sous couvert d’efficacité Pendant que les jeunes socialistes de Loire-Atlantique s’offusquaient de la représentation de la nativité sur un panneau publicitaire vendéen, un nouvel article venait discrètement étoffer le Code du travail. Issue de la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022 relative...

La présomption de démission : une révolution juridique sous couvert d’efficacité

Pendant que les jeunes socialistes de Loire-Atlantique s’offusquaient de la représentation de la nativité sur un panneau publicitaire vendéen, un nouvel article venait discrètement étoffer le Code du travail.

Issue de la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022 relative au marché du travail, la présomption de démission en cas d’abandon de poste par le salarié est une petite révolution dans le droit social français. Jusqu’alors, la démission était définie comme une décision claire et non équivoque du salarié. L’abandon de poste, en revanche, relevait d’une faute disciplinaire pouvant justifier un licenciement, mais sans jamais être assimilé à une démission.

Désormais, le législateur considère qu’un salarié qui abandonne volontairement son poste et ne reprend pas le travail après une mise en demeure est présumé avoir démissionné. Cette présomption vise à limiter le recours stratégique à l’abandon de poste pour forcer un licenciement, notamment dans le but de bénéficier des allocations chômage.

Le nouvel article L.1237-1-1 du Code du travail, entré en vigueur le 23 décembre 2022, prévoit que :

« Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai. »

Si le salarié conteste la rupture de son contrat de travail sur ce fondement, il peut saisir le conseil de prud’hommes, qui devra statuer dans un délai d’un mois.

Un décret d’application doit encore préciser le délai minimal laissé au salarié pour reprendre son poste après la mise en demeure.

Ce dispositif cible une pratique bien connue : le salarié qui, après avoir quitté son poste sans justification, espère forcer son licenciement pour faute afin de percevoir ses indemnités et accéder à l’assurance chômage.

Dans ce contexte, le législateur a voulu restaurer un équilibre :

  • Si le salarié assume son départ, il le fait sous forme de démission, ce qui le prive d’allocations chômage.
  • Si le salarié refuse de reprendre son poste après une mise en demeure, l’employeur n’aura plus à engager une procédure de licenciement — souvent longue et complexe.

L’objectif est donc clair : désengorger les conseils de prud’hommes et limiter le coût pour l’Unédic.

Le Président de la République avait annoncé la couleur en déclarant :

« Je ne cèderai rien aux fainéants, aux cyniques, ni aux extrêmes. »

La réforme porte la marque d’une politique de responsabilisation des salariés :

  • La démission présumée sanctionne le salarié qui renonce volontairement à son emploi sans assumer pleinement la rupture du contrat.
  • L’État cherche à réduire le déficit de l’Unédic en empêchant des salariés de bénéficier des allocations chômage après un abandon de poste déguisé en licenciement.

L’employeur devient donc l’arbitre du départ de son salarié : s’il ne veut pas engager de procédure de licenciement, il peut désormais simplement constater une présomption de démission.

Cette réforme place l’employeur dans une position inconfortable :

  • Si le salarié abandonne son poste, l’employeur doit envoyer une mise en demeure.
  • Il lui appartient ensuite de décider s’il considère l’absence comme une faute justifiant un licenciement ou comme une démission présumée.
  • S’il opte pour la démission présumée, il n’aura plus à verser d’indemnités de licenciement ni de préavis.

En revanche, si le salarié conteste la démission, il pourra saisir le conseil de prud’hommes, qui devra se prononcer rapidement.

– L’employeur devient en quelque sorte un acteur indirect du financement de l’assurance chômage : s’il déclare une démission présumée, le salarié ne pourra pas prétendre aux allocations chômage.

L’employeur devra faire preuve de prudence dans la gestion de cette nouvelle arme juridique :

  • Le formalisme de la mise en demeure devra être irréprochable.
  • L’absence de réponse du salarié devra être constatée clairement.
  • Le salarié devra être informé du caractère automatique de la présomption de démission.

Toute erreur de procédure pourrait exposer l’employeur à une requalification de la rupture en licenciement abusif devant les prud’hommes, avec toutes les conséquences financières associées (indemnités, dommages et intérêts, rappels de salaire…).

Le texte prévoit que le conseil de prud’hommes devra statuer dans un délai d’un mois.

« À priori, c’est mal connaître le conseil de prud’hommes de Nanterre. »

Dans la réalité, les conseils de prud’hommes sont souvent engorgés. Les délais moyens de traitement d’un dossier prud’homal sont de 15 mois — on est donc loin d’un traitement rapide.

– Cette promesse d’accélération risque de se heurter à la réalité du fonctionnement judiciaire.

Contrairement au licenciement, une démission impose en principe au salarié d’exécuter son préavis. Si le salarié abandonne son poste et est présumé démissionnaire, l’employeur pourra lui réclamer :

  • L’exécution du préavis ;
  • À défaut, une indemnité compensatrice équivalente à la durée du préavis non effectué.

Cette subtilité pourrait aboutir à des situations absurdes :

  • Un salarié qui refuse d’exécuter son préavis pourrait être poursuivi en justice pour le paiement d’une indemnité, alors même qu’il n’a jamais formellement exprimé sa volonté de démissionner.
  • Un salarié en conflit avec son employeur pourrait volontairement abandonner son poste pour « forcer » l’employeur à engager une procédure complexe.

– L’abandon de poste pourrait donc devenir une arme à double tranchant.

Le véritable enjeu de cette réforme est budgétaire :

  • 70 % du déficit de l’Unédic résulte du financement de l’activité partielle ou du report des cotisations.
  • Pourtant, entre 25 et 42 % des salariés éligibles à l’assurance chômage ne s’y inscrivent pas.

En transférant la gestion de la rupture du contrat à l’employeur, l’État cherche à limiter le coût de l’assurance chômage sans assumer directement le poids politique de cette décision.

La présomption de démission modifie en profondeur le rapport de force entre employeurs et salariés :
-Elle offre à l’employeur une alternative au licenciement, plus rapide et moins coûteuse.
– Elle accroît le risque de conflits sociaux et de litiges devant les prud’hommes.
– Elle remet en cause le fondement contractuel de la démission en imposant une logique économique à une décision censée rester personnelle et volontaire.

La présomption de démission, sous couvert de pragmatisme, pourrait bien devenir une bombe à retardement juridique.

Richard Wetzel, Avocat

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